Vive les petites exploitations diversifiées !

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« Dans de nombreux pays en développement, le sous-investissement dans le secteur agricole, le démantèlement des pro-grammes de soutien public et les impacts de la libéralisation du commerce ont miné le secteur des petites exploitations ainsi que la capacité de production alimentaire nationale, laissant ces pays encore plus vulnérables à l’instabilité des prix. Les investissements dans le secteur agricole se sont largement concentrés sur les cultures d’exportation pour générer des devises, obligeant ainsi les pays à compter sur les prix des denrées du marché international qui continuent d’être bas pour satisfaire la demande intérieure. Cette stratégie a échoué. » (IAASTD 2009).

L’année dernière, la hausse des prix des denrées alimentaires et les émeutes qui s’en sont suivies ont clairement indiqué que le secteur agricole est devenu une priorité. Les chiffres (Hazell 2007, Banque mondiale 2008) montrent que 2,5 milliards sur les 3 milliards des ruraux du monde en développement vivent de l’agriculture. Un milliard et demi d’entre eux tirent leur production de 404 millions de petites exploitations agricoles (moins de 2 ha) sou-vent de rendement faible (moins de 1 ha). Par contre, les pays en développement ne comptent que 20 millions d’exploitations agricoles, plus grandes, mécanisées et axées sur le marché.

En dépit des prévisions récurrentes qui annoncent leur disparition, les petites exploitations s’avèrent remarquablement durables, et la superficie totale des terres arables qu’elles occupent ne cesse d’augmenter. Cependant, les petits agriculteurs vivent dans une relative pauvreté ; la plu-part d’entre eux gagnent moins de 2 dollars US par jour, et 400 millions d’entre eux sont constamment menacés par la famine.

Dans le débat d’orientation sur l’agriculture, l’avenir des petites exploitations agricoles est en cause. L’opinion conventionnelle soutient que les petites exploitations agricoles sont arriérées et improductives. Pourquoi devrait-on les soutenir ? L’histoire montre que dans les économies en expansion, de nombreux agriculteurs, surtout les jeunes, se tournent vers d’autres activités plus rémunératrices. Dans de nombreux endroits, la population agricole est vieillissante et la relève n’est pas assurée. Une meilleure gestion de ce processus de transition peut être une opportunité pour les ruraux de sortir de la pauvreté et pour les grandes exploitations agricoles de croître en taille et en revenu.

En période de croissance économique, cette situation peut être intéressante pour les gouvernements. Mais est-ce la bonne approche en période de crise économique et écologique comme c’est le cas actuellement ?

Forces des petites exploitations agricoles

En période de crise économique, les populations retournent généralement à l’agriculture Ceci devrait nous inciter à soutenir les petites exploitations agricoles, car elles contribuent à l’emploi et à la réduction de la pauvreté. Elles parviennent aussi à nourrir une grande partie de la population urbaine. Par exemple, en Amérique latine, elles produisent 51 % du maïs, 77 % des haricots et 61 % de la pomme de terre pour la consommation domestique (Altieri 2008).

Aussi permettent-elles aux travailleurs de rester avec leurs familles au lieu d’émigrer, contrairement aux grandes exploitations agricoles mécanisées et dépeuplées.

Pretty et Hine (2001) ont réalisé une étude sur des projets auxquels 12,6 millions d’agriculteurs participent dans 57 pays. Les résultats montrent que, pour les 286 projets agricoles durables étudiés, la production agricole moyenne a augmenté de 79% depuis la première moitié des années 1990. L’évaluation a également révélé que les augmentations relatives de production sont plus importantes dans les cultures pluviales à rendements plus faibles. Le maïs, le millet et le sorgho, la pomme de terre et les légumes ont vu leur rendement augmenter de 100 % environ.

En comptant plus sur la main d’oeuvre familiale, le recyclage et les procédés écologiques que sur des apports externes modernes, la mécanisation et l’énergie fossile, les petites exploitations diversifiées réduisent de manière significative leurs coûts et conservent plus de ressources que les grandes exploitations. Par exemple, la production de maïs dans les systèmes de culture traditionnels mexicains est d’environ 1950 kg à l’hectare. Avec l’utilisation de produits agrochimiques et la mécanisation, le rendement peut atteindre 8000 kg à l’hectare mais, pour réaliser ce meilleur rendement, il faut disposer de l’équivalent en énergie de 1 000 litres de carburant environ par hectare (Pimentel et al. 2007). Le rendement énergétique est un argument important de nos jours où l’énergie fossile se fait de plus en plus rare et où les variations climatiques s’intensifient. L’influence de l’agriculture classique sur les changements climatiques est non seulement due à une grande utilisation de l’énergie fossile mais encore à l’énorme perte de biomasse à la surface et à l’intérieur du sol. Avec la promotion de l’agriculture diversifiée, particulièrement l’agroforesterie, d’importantes quantités de dioxyde de carbone peuvent être immobilisées dans la matière organique du sol, la couche de paillis et les arbres. En outre, la recherche menée en Amérique centrale (Holt-Gimenez 2001) a montré que ces exploitations agricoles sont plus résistantes aux risques liés au climat tels que la sécheresse, les inondations et les tempêtes. L’on peut donc en conclure que soutenir l’agriculture familiale diversifiée permet de renforcer ses fonctions économiques, sociales et écologiques.

Différentes catégories de petits exploitants

Les exploitants agricoles travaillent dans des contextes agroécologiques très diversifiés. 10 à 15 % d’entre eux sont des agriculteurs traditionnels (Altieri et Koohafkan 2008). Ils ont des visions différentes et usent de pratiques traditionnelles pour améliorer la productivité, la résistance et l’adaptabilité.

De nombreux petits exploitants ont réussi à s’intégrer plus ou moins dans le marché en tant que simples producteurs de denrées agricoles ou petits entrepreneurs. Ils ne se basent pas sur les mécanismes écologiques internes, mais tirent le maximum de profit des avantages de la technologie moderne basée sur l’énergie fossile. Sur le marché, ils doivent faire concurrence à d’autres agriculteurs en améliorant leur efficacité ou en offrant une meilleure qualité de produits. S’ils n’y parviennent pas, ils seront marginalisés.

Un nombre sans cesse croissant d’agriculteurs qui produisent pour les marchés cherchent à tirer profit de la demande croissante de produits organiques et de produits spécialisés. Autour et à l’intérieur des villes, de nombreuses personnes trou-vent un emploi dans l’agriculture basée sur le recyclage des déchets.

La majorité des petits « paysans» cherchent aussi des revenus supplémentaires hors de l’exploitation agricole, pour répondre aux besoins de leur famille tout au long de l’année. Beaucoup de gens n’apprécient pas le terme « paysan » en raison de sa connotation négative mais il est progresivement revalorisé par le réseau de La Vía Campesina, entre autres. L’agriculture paysanne peut être de subsistance comme axée sur le marché ou combiner les deux dans l’espace ou dans le temps. Dans de nombreux endroits, la technologie moderne est non disponible, trop onéreuse ou culturellement inacceptable pour les paysans. La résistance et l’autonomie sont très appréciées pour la réduction du risque et de la vulnérabilité face aux changements climatiques. Grâce aux stratégies flexibles, le paysan peut bénéficier de l’économie de marché en temps utile et se rabattre sur la production de subsistance en temps de crise.

Nécessité d’une approche différenciée

Nonobstant tous les efforts de développe-ment, l’on ne peut pas admettre que l’agriculture de subsistance, paysanne et traditionnelle devienne obsolète. Comme l’ont déjà déclaré (Madeley et al. 2007), une approche différenciée est nécessaire pour soutenir les petits exploitants agricoles : « L’objectif visant à diminuer la pauvreté de moitié d’ici à 2015 ne sera atteint que si les besoins des populations qui connaissent la faim sont reconnus et si elles reçoivent le soutien nécessaire. Une nouvelle approche globale est nécessaire pour lutter contre la pauvreté et la faim, ce qui inclut l’agriculture de subsistance. Les études académiques et les politiques des donateurs en faveur des petits exploitants manquent souvent de faire la différence entre les agriculteurs marginaux et ceux qui produisent régulièrement pour le marché. Pourtant, il s’agit de deux groupes dont les modes de vie, les conditions et les besoins différent. Une politique uniformisée marginalise les plus pauvres.».

La Vía Campesina et l’IAASTD ont formulé des recommandations sur la manière de soutenir les petits exploitants agricoles.

La vision d’une organisation paysanne

Le mouvement international des paysans La Vía Campesina, qui dit représenter des milliers de petits exploitants agricoles a exprimé sa vision sur l’avenir de l’agriculture en 2002. La souveraineté alimentaire est un thème central de sa vision. L’approche est aujourd’hui soutenue par de nombreuses ONG et OSC.

Par souveraineté alimentaire, La Vía Campesina entend le droit de chaque pays de maintenir et de renforcer son autosuffisance alimentaire pour les produits de base tout en respectant la diversité culturelle et celle de la production. Pour la Vía Campesina, le fait de produire sur son propre territoire est un droit pour les agriculteurs. La souveraineté alimentaire est une condition préalable à une véritable sécurité alimentaire. Les paysans et les petits exploitants agricoles devraient également avoir un droit de regard dans la formulation des politiques agricoles à tous les niveaux, disent-ils. Les femmes rurales, en particulier, doivent être autorisées à prendre des décisions de manière directe et active en ce qui concerne les questions alimentaires et rurales.

S’agissant des prix des produits alimentaires, sur les marchés nationaux et internationaux, La Vía Campesina est d’avis qu’ils doivent être régulés et refléter les prix réels afin de garantir, aux familles des paysans et des agriculteurs, des revenus suffisants.

La recherche agricole devrait être axée sur les ressources et non sur les appuis. Elle doit être déterminée par l’agriculteur et le consommateur et non imposée par l’industrie. Le système de production local doit être amélioré, et respecter les objectifs de ceux qui en dépendent. S’agissant des programmes de formation et d’enseignement, La Vía Campesina a le sentiment qu’ils sont presque exclusivement axés sur la promotion de l’agriculture industrielle et font fi des connaissances des agriculteurs. Souvent, l’enseignement n’appuie pas les efforts visant à maintenir ou à améliorer la durabilité des modèles de production basés sur l’exploitation familiale.

La vision de 400 experts

L’année dernière, une étude parrainée par les Nations Unies, la Banque Mondiale et le Fonds pour l’Environnement Mondial a cherché à identifier le genre de sciences agricoles, de technologies et de politiques nécessaires pour prendre en charge les problèmes de sécurité alimentaire, de pauvreté et des moyens de subsistance, compte tenu de la crise écologique mondiale. Cette étude a été résumé dans un rapport disponible sur le site www.agassessment.org.

Pour améliorer la sécurité alimentaire, les 400 experts préconisent le renforcement du secteur de la petite exploitation agricole. Le développement d’une agriculture multifonctionnelle est considéré comme une stratégie-clé qui permet d’améliorer la durabilité. Le concept de multifonctionnalité reconnaît les fonctions sociales, environnementales et économiques de l’agriculture qui fournit non seulement les produits de base, mais encore des services écologiques, et aide aussi à maintenir l’héritage culturel. Pour ce faire, des approches intégrées sont nécessaires telles que l’agroécologie, la gestion intégrée des ressources naturelles, l’agriculture écologique et l’agroforesterie.

Vents de changement : les vraies solutions loin d’être trouvées

Il semble y avoir d’importants points d’en-tente entre les paysans et les experts. Cela signifie t-il l’adoption par tous de la petite agriculture diversifiée? Manifestement, les vents du changement soufflent. Toutefois, dans la vision de La Vía Campesina « la principale entrave à la garantie de moyens durables de production n’est ni dans le manque de technologies appropriées ni dans le manque de connaissance des personnes qui travaillent la terre, mais plutôt dans la manière dont les politiques nationales et internationales ainsi que l’agroin-dustrie interviennent dans le système de production alimentaire. C’est ce qui oblige les agriculteurs à adopter des méthodes de production insoutenables ».
A la réunion internationale sur la Sécurité alimentaire tenue les 26 et 27 janvier 2009 à Madrid, les délégués de La Vía Campesina ont remarqué que la rencontre était dominée par la Banque mondiale, le Fonds Monétaire International et l’Organisation Mondiale du Commerce ainsi que par des sociétés multinationales comme Monsanto. De leur avis, la réunion n’a pas suffisamment traité la question essentielle des moyens de résolution de la crise alimentaire. Les petits exploitants ont eu un temps de parole très court pour exprimer leur position. Au sortir de cette réunion, les principales résolutions ont été : « maintien du statu quo », plus d’engrais, plus de semences hybrides et plus de substances agrochimiques pour les agriculteurs qui peuvent les acheter.

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