Lokouna Djassoga marche à travers les buttes de son champ, une houe à la main. En ce matin brumeux de décembre, il récolte des ignames. Le paysan s’arrête à chaque monticule de terre, la casse et déterre de trois ou quatre, voire parfois cinq tubercules. Il fait le tri entre ceux qu’il consommera et ceux qu’il réservera pour la prochaine plantation. Derrière lui, enfants et amis ont également les mains plongées dans la terre, ramassant de gros tubercules à manger.
Monsieur Djossaga cultive à Blakpa, un village situé à la sortie d’Atakpamé, une ville à 160 kilomètres au nord de Lomé, la capitale du Togo. Comme lui, plusieurs paysans et paysannes récoltent leurs ignames en décembre.
Il est fier de voir que les têtes d’igname qu’il a plantées il y a quelques mois sont devenues de longs et gros tubercules. Il déclare : « La récolte n’est pas mal. Je compte avoir six à huit bassines d’ignames cette année. » Les bassines consistent en une unité de mesure de la région.
Monsieur Djossaga n’a pas qu’une seule parcelle de terre. Cette année, il a récolté des ignames sur la plus vaste, mais l’an dernier, c’était du haricot qu’il avait cultivé dans ce champ.
Il explique : « L’objectif c’est de faire bénéficier à l’igname l’engrais vert riche. Cet engrais est issu de la dégradation des restes de plants de haricots que j’enfouis à la base des buttes que j’érige. »
Il ajoute : « Ce n’est pas rentable de semer l’igname sur le même terrain, deux années consécutives. Je ne le fais jamais sinon, le rendement chute automatiquement. Le nombre de bassines à la dernière année sera nettement inférieur à la première. »
C’est fort de cette expérience que l’agriculteur de 34 ans a choisi d’alterner ses cultures. Monsieur Djassoga et ses amis ont compris l’importance de la rotation des cultures, un des trois principes majeurs de l’agriculture de conservation. Celle-ci favorise le travail réduit du sol, le maintien permanent de la couverture du sol, par exemple avec des résidus de cultures, et la rotation des cultures ou la culture intercalaire. Cette approche agricole permet aux agriculteurs et aux agricultrices de cultiver de manière à demeurer productifs pendant longtemps.
La rotation des cultures consiste à alterner les cultures produites sur un seul champ d’une saison à l’autre. Lorsque les agriculteurs et les agricultrices alternent les cultures, une d’elles apporte souvent les éléments nutritifs que la culture suivante utilise.
Monsieur Djassoga plantera de nouveau des ignames en février ou en mars, mais sur un autre champ. Les paysans et les paysannes cultivent à différentes périodes de l’année, en fonction de la région. Dans les régions humides, ils érigent les buttes en octobre et plantent ensuite leurs ignames et recouvrent les monticules avec des végétaux ou des pierres. À l’arrivée des premières pluies en février, ils retirent les végétaux et placent des piquets. La première récolte se fait en août. À ce moment, les agriculteurs et les agricultrices enfouissent un bâton dans le monticule, ciblent la tête du tubercule et le retirent, puis recouvre les racines pour qu’elles produisent plus d’ignames. Ils reviennent en décembre pour casser les buttes et déterrer les tubercules.
Cette même parcelle est ensuite préparée pour le maïs. Monsieur Djassoga explique : « Je sème le maïs durant deux mois, en avril, puis en juin je récolte. Même sans engrais, je récolte suffisamment. Si en juillet il pleut encore, il est possible de semer du haricot. Le cas contraire, j’attends jusqu’à la prochaine saison de pluie. »
Tsipoaka Kossi Mensah est chef agronome de l’ONG Association Mieux-Être Pour Tous, une organisation qui vise à améliorer les conditions de vie de la population togolaise.
Il affirme qu’en matière de rotation des cultures, le choix des cultures est très important, et ce, du début de la rotation, jusqu’à milieu et aux récoltes.
Il explique : « Il y a une suite logique dans la succession des cultures : les tubercules comme les ignames, le manioc, la patate douce sont à la tête de la rotation. Elles augmentent la porosité du sol en permettant une bonne circulation de l’eau. Ensuite viennent les céréales, comme le maïs et le sorgho. Grâce à la porosité, elles peuvent plonger leurs racines profondément et pousser correctement. Elles sont des cultures intermédiaires. Enfin, l’agriculteur peut semer les légumineuses, comme le haricot ou l’arachide qui renforcent et fixent l’azote dans le sol. »
Il ajoute que les agriculteurs parviendront avec brio à une telle culture à même une parcelle de terre à la condition de disposer d’un sol riche, toutefois, au fil du temps, l’espace se dégradera et l’usage de compost ou des déchets d’animaux sera nécessaire pour renforcer le sol. Un procédé simple impliquant également la rotation de légumes.
Il soutient que les agriculteurs et les agricultrices pourraient avoir du succès en produisant la même culture dans le même champ une saison après l’autre s’ils ont un sol riche, mais, qu’au fil du temps, le sol s’épuisera et ils devront utiliser du fumier de compost ou des déchets animaux. Cependant, en alternant simplement les cultures plantées dans le champ et en s’assurant d’inclure des légumineuses dans cette rotation, les agriculteurs et les agricultrices peuvent maintenir leurs sols bien fertiles.
Monsieur Mensah avertit que la rotation des cultures a tout de même ses limites, et suggère aux paysans et aux paysans d’adopter la culture intercalaire également. Cette technique consiste à planter deux cultures sur une même parcelle, en simultané, par exemple, le gombo et l’arachide. Ces cultures ainsi associées produiront plus que si elles avaient été plantées séparément.