Par Amélie Pistorius
L’histoire du biochar vient de l’étude d’une portion de sol hautement fertile en Amazonie centrale, appelée «terra preta», qui couvre une surface de plus de 50’000 ha. Cette terra preta semble avoir été créée par les paysans durant une longue période située entre 1000 avant J.-C. (voire 5000 avant J.-C.) et 1500 après J.-C. Au lieu de l’agriculture sur brûlis, les paysans amazoniens auraient nourri le sol d’un mélange de matières organiques diverses et de charbon. Il semble que les paysans ont d’abord brûlé une grande variété de matières organiques par combustion lente et sans oxygène, en enfouissant le feu sous de la terre. Le charbon issu de ce processus a ensuite été mélangé avec différents éléments comme, des résidus de poisson, carapaces de tortues, herbes, sédiments, fumier et déchets de cuisine. Ce mélange a été donné au sol, d’une manière qui n’est pas encore claire aux yeux des chercheurs.
Aujourd’hui, ce sol enrichi est, plusieurs milliers d’années plus tard, encore un terreau fertile. Ce sol particulier contient plus de 70 fois la charge en nutriments des sols voisins. Ailleurs, le sol amazonien est plutôt pauvre en carbone et en nutriments, et il ne peut être utilisé pour la production agricole plus de trois ans avant de devoir être nourri d’un apport massif de fertilisants.
Inspirés de cet exemple, mais sans une compréhension profonde du processus de création de la terra preta, certains projets de géo-ingénierie ont créé le biochar. Ce terme décrit un charbon de bois, issus de la pyrolyse, finement broyé et appliqué sur le sol. Le charbon est une matière très difficilement décomposable pour les organismes du sol et sous l’émulation financière du marché du carbone, des grandes entreprises misent d’ores et déjà sur la production massive de biochar, en arguant qu’il va permettre de capturer du CO2 dans le sol à long terme.
Aujourd’hui, quatorze gouvernements, la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CC-NUCC), ainsi que la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULD), sont en train de discuter de mécanismes visant à inclure les terres agricoles dans le commerce du carbone. Dans les négociations, le biochar est un des outils présenté comme «solution appropriée à la crise environnementale ».
Un lobby constitué d’entreprises et de scientifiques demande officiellement que le biochar joue un rôle important dans un accord post-2012 sur les changements climatiques dans le commerce du carbone.
Toutefois, des études scientifiques insistent sur le degré d’incertitude élevé concernant la capacité du biochar à fertiliser les sols ainsi qu’à créer un puits de carbone fiable qui permette d’atténuer le changement climatique.
Un fertilisant utile ?
Comme l’explique L. Van Zwieten3, il existe différents types de biochars. «Quand on prend un matériel très ligneux (very woody feedstock material) pour produire le biochar, on se retrouve avec un produit contenant beaucoup de carbone, mais peu de minéraux. De l’autre côté, si on met du fumier, par exemple des déchets de production laitière ou aviaire, on se trouve avec des matériaux qui apportent azote et phosphore et une large majorité de ces nutriments vont se retrouver dans le biochar final». C’est pourquoi, des sociétés de géo-ingénierie cherchent à produire une combinaison de biochar et d’engrais. Une telle technologie s’appuie sur l’utilisation d’engrais basés sur les combustibles fossiles en agriculture industrielle.
Il y aurait donc un biochar pour la capture de CO2 et un biochar à base de déchets et fumier pour la fertilité du sol. S’il s’agit uniquement de passer le fumier dans une machine pour avoir à le racheter ensuite, ce n’est intéressant que pour les entreprises transformatrices.
Au niveau scientifique, ce qui a été constaté c’est que la qualité du bio-char peut avoir un impact positif ou négatif sur la fertilité selon la pureté du charbon de bois. Bien évidemment, une fois que cette poussière de charbon de bois a été incorporée au sol elle est impossible à enlever. Il semble donc que nous n’ayons pas le recul suffisant pour mesurer l’impact sur la fertilité dans différents types de sol.
Ce qui est peut-être le plus préoccupant, c’est que les études qui aboutissent à une augmentation à court terme de la fertilité du sol, avec l’utilisation du biochar, font intervenir des quantités bien supérieures à ce qui peut être obtenu en carbonisant la matière organique produite par cette même terre. Cela implique que pour fertiliser des terres par le biochar, de plus grandes étendues doivent être dépouillées de toute leur biomasse.
Détruire des écosystèmes pour «stabiliser le climat» ?
Outre un questionnement autour de l’impact que peut avoir le fait de noircir la terre à grande échelle, augmentant ainsi son albédo et favorisant le réchauffement ,la capacité de capture à long terme du CO2 est vivement nuancée. Le biochar ne stocke a priori que 50% du carbone qu’il contient, les premiers 50% sont «respirés» à court terme. De plus deux études menées dans les forêts boréales ont montré que l’ajout du biochar dans le sol entraîne la dégradation du carbone préexistant dans le sol, avec pour résultat une augmentation de la respiration du sol et ainsi une émission augmentée de CO2 dans l’air.
Les défenseurs du biochar proposent que des plantations soient créées à l’échelle énorme de 500 millions d’hectares. C’est la superficie de terres qu’il faut à la fabrication de biochar nécessaire pour que celui-ci fasse effet sur «l’atténuation des changements climatiques» telle qu’ils la préconisent4. Avec toute la dégradation des sols et des forêts qui accompagne l’accaparement de ces terres pour la fabrication du biochar, l’impact sur le climat serait colossal et il deviendrait impossible de considérer la production de biochar comme neutre au niveau carbone. Presque automatiquement, une importante nouvelle demande en biomasse viendrait concurrencer les demandes actuelles et augmenterait encore la pression sur les écosystèmes naturels, les terres communautaires et la production alimentaire.
Le résultat est consternant. Cet instrument dangereux soutenu par un fort lobby est légitimé à travers des arguments de «protection du climat». La manoeuvre du biochar pourrait laisser les agriculteurs sans aucun autre soutien que l’argent sale provenant de pollueurs.
Globalement, pour les paysans, les fausses solutions avancées dans les négociations climatiques (les mécanismes de marché du carbone, les projets de géo-ingénierie), sont aussi menaçantes que le changement climatique lui-même.
Et pour la planète, le constat est identique: malgré le protocole de Kyoto et la création d’un marché du carbone où s’échangent des «tonnes de réduction d’émissions», les émissions de CO2 ont continué d’augmenter.
1 Pyrolyse: Combustion sans oxygène durant laquelle la biomasse est exposée à des températures élevées pendant une courte période de temps.
2 Climate and agriculture: a just response, Climate and Agriculture, Copenhagen 2009, Institute for agriculture and trade policy, iatp.org
3 Interview de Lukas Van Zwieten, cher-cheur principal sur la question du climat au département des industries primaires, USA. Interview publiée chez beyondzeroemission.org
4 Vrais problèmes, fausses solutions, par le Grupo de Reflexion Rural, Biofuelwatch, EcoNexus et NOAH- Amis de la Terre, Dannemark.